Homélie de la Messe de la Nuit de Noël

« Aujourd’hui un Sauveur nous est né : c’est le Christ, le Seigneur. »

C’est ce que nous avons chanté, tout à l’heure, dans le psaume. Cet enfant qui est né est le Sauveur, Jésus est le Sauveur, c’est ce que signifie son nom. Ce mot revient comme un refrain dans les lectures que nous venons d’entendre : le Sauveur. Qu’est-ce que ce mot veut dire ? Qu’est-ce qu’il évoque pour vous aujourd’hui ?

« Tu me sauves la vie ». C’est une expression qu’on emploie parfois, dans des situations qui peuvent être assez banales : mon téléphone est déchargé et j’ai absolument besoin de téléphoner, ou d’aller sur la page Facebook de la paroisse de Chatou pour voir une super vidéo, quelqu’un me prête son téléphone : « Merci, tu me sauves la vie ! ».

Dans un autre registre, il y a quelques jours, on a failli dire que Killian Mbappé était le sauveur de la France (ou au moins de l’équipe de France). Ses trois buts n’ont finalement pas suffi, mais il n’est pas passé loin ! Il a failli permettre à la France de gagner la coupe du monde alors que le match était très mal parti. Mbappé le sauveur…

Est-ce qu’il faut pour autant comparer Mbappé et le messie ? (j’ai bien dit le messie…) Est-ce que Jésus est Sauveur, dans le sens courant de ce mot ? En nous rendant la vie plus facile, comme l’ami qui nous prête un téléphone, ou en nous apportant une satisfaction très intense mais qui ne durera qu’un temps ? Je pense que vous avez une idée de ma réponse…

Si on lit la Bible, on voit que cette notion de salut revient souvent, et qu’elle est associée à une libération. Comme dans le texte du prophète Isaïe que nous avons entendu tout à l’heure, qui date de sept siècles avant Jésus. Le bâton du tyran est brisé, les bottes qui frappaient le sol sont brûlées. Et la paix sera sans fin. Le salut est là synonyme de libération de l’oppression, une libération qui semble définitive.

Mais en quoi cela nous concerne-t-il aujourd’hui ? Chacun de nous peut-il dire ce soir qu’il a besoin d’être sauvé ? Qu’il le désire ? Peut-être pas, et pourtant… Et pourtant, je pense que si nous allons au plus profond de nous-mêmes, nous trouverons une grande aspiration au bonheur, à l’accomplissement, à la joie, à quelque chose qui nous dépasse et nous comble durablement et totalement. Un désir d’aimer et d’être aimé, de faire le bien, de faire de notre vie quelque chose de beau. Et si vous vous dites que ces aspirations ne se trouvent pas en vous, c’est sans doute qu’elles sont enfouies, cachées, qu’elles attendent qu’on y accède, qu’on les libère. Et de même, je pense qu’à l’intérieur de nous-mêmes, nous rencontrons aussi notre insatisfaction devant tout ce que le monde et la société de consommation nous proposent comme source d’épanouissement, car notre cœur est grand, plus grand que toute satisfaction immédiate, qui finit toujours par laisser la place à un autre désir… Notre cœur est grand… et il est aussi blessé. Blessé par notre difficulté à aimer, à nous décentrer de nous-mêmes, à vivre toutes nos relations dans une vraie gratuité. A l’intérieur de nous-mêmes, nous faisons l’expérience de nos limites et des limites de notre condition humaine, de notre incapacité à faire toujours le bien que nous voudrions faire. Nous aspirons à l’amour vrai et au grand bonheur, mais ce bonheur nous échappe toujours un peu, parfois de manière difficile à vivre, cruelle… Nous ne pouvons pas accéder seuls, par nos propres moyens humains à ce grand bonheur. Bref, nous avons besoin d’être sauvés, besoin d’un sauveur.

Ce Sauveur, nous célébrons sa naissance ce soir. Une naissance, un enfant qui ressemble à tous les autres, un être humain parmi les autres… sans doute moins adroit devant le but que Mbappé ou Messi (même si ça, en fait, on ne le saura jamais !), mais un être vraiment humain. Vraiment divin, et vraiment humain. Jésus, c’est l’être humain guéri de sa blessure, libéré de sa difficulté à aimer. C’est l’être humain capable d’aimer en plénitude, gratuitement, comme Dieu. L’être humain capable d’être uni avec Dieu. L’être humain sauvé par Dieu.

Finalement, être sauvé, c’est vivre avec Dieu, participer à la vie de Dieu, aimer comme Dieu, en Dieu. C’est vivre l’absolu auquel nous aspirons et que Dieu seul peut donner. C’est cela que Jésus vient nous offrir, lui qui est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu, Dieu fait homme. Il vient restaurer notre humanité de l’intérieur, en l’assumant, en l’habitant, en l’élevant jusqu’à Dieu. Par sa naissance, par sa vie parmi nous, par sa mort et sa résurrection.

Vous me direz peut-être, et je me le dis parfois, que tout cela est beau, mais que ce salut, cette guérison, ce renouvellement de l’humanité, ne se voit pas beaucoup. Il n’y a qu’à regarder autour de nous – en nous, aussi – pour trouver qu’il y a encore du boulot, que l’humanité reste enfermée dans ses limites, qu’elle semble incorrigible. C’est vrai, et d’ailleurs ce n’est pas un scoop… Saint Paul le disait, il y a presque 2000 ans, dans la deuxième lecture : le  salut est entré dans le monde, mais nous attendons encore que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation en plénitude, dans la gloire, de Jésus-Christ. Il nous faut donc de la patience… et surtout de l’espérance. Depuis cette nuit de Bethléem il y a deux mille ans, Dieu est bien présent dans le monde. Mais il y est présent comme un petit enfant qui grandit. Sa présence est remise entre nos mains. Et si nous trouvons qu’elle n’est pas assez efficace, qu’elle n’a pas assez changé le monde, que le salut n’a pas encore assez transformé l’humanité, alors… au boulot ! Connectons-nous d’abord à celui qui est venu vivre en nous, pour nous, vivons avec le Christ, pensons à lui, lisons sa Parole, prions-le, donnons-lui plus de place dans notre vie… et cherchons à vivre concrètement guidés par lui, selon son amour. Ne soyons pas passifs, vivons notre foi le plus pleinement possible. Bref, si nous trouvons que le salut n’est pas assez visible, alors connectons-nous au Sauveur, et bougeons-nous. Et surtout, ne perdons pas l’espérance. Le Sauveur est là. Si nous le voulons, rien ne peut nous séparer de son amour.

Père Pierre-Marie Hascal

Messe du 24 décembre 2022, 20h30 à Sainte-Thérèse de Chatou.

Les lectures étaient : Isaïe 9, 1-6 – Psaume 95 – Tite 2, 11-14  – Luc 2, 1-20.

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