Homélie de la messe de la nuit de Noël

Marie est enceinte depuis plusieurs mois, et avec son mari Joseph, ils doivent se rendre à Bethléem pour le recensement. Nazareth-Bethléem à pied, d’après Google maps, au plus court ça fait 144 km et 31h de marche… En comptant les pauses, il faut compter un trajet de plusieurs jours, sans doute bien fatigant pour une femme enceinte.

Les voici arrivés à Bethléem, et l’Evangile nous dit : « Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. » Les neuf mois sont passés, c’est le moment… et peut-être même que les 144 km ont un peu accéléré le processus… Pour celles d’entre vous qui ont donné naissance à un enfant, ça évoque peut-être des souvenirs de départ en urgence à la maternité… heureusement que la valise était déjà prête… et pourvu que je n’accouche pas dans la voiture… Quand c’est le moment, c’est le moment ! « Le temps où elle devait enfanter fut accompli. »

Cette petite phrase de l’Evangile, on peut l’entendre dans ce sens très réaliste, très humain, et je pense qu’on a raison, la naissance de Jésus est un évènement bien humain, avec tout ce que cela comporte. On peut aussi entendre résonner dans cette phrase un écho qui vient de plus loin, de très loin, dans les profondeurs de notre histoire, dans les profondeurs du cœur de Dieu… « Le temps où elle devait enfanter fut accompli. » Le temps est accompli… Ces mots sont assez solennels. Comme si quelque chose qui se préparait depuis longtemps, depuis bien plus longtemps que neuf mois, allait enfin arriver. Voici enfin le moment unique de l’histoire des hommes que Dieu a choisi et préparé. A ce moment-là, dans ce lieu-là, intervient cette naissance, qui est comme les autres, et qui n’est pas comme les autres. Cette naissance qui est tout à fait normale, et qui n’est pas du tout normale. Le temps est accompli, tout est prêt, Dieu va accomplir son œuvre. Les hommes vont-ils reconnaître les signes de cet accomplissement ?

En matière de signes, on ne peut pas dire que Dieu fasse dans le grand spectacle. Certes, ça commence assez fort : l’ange du Seigneur se présente devant les bergers, qui se retrouvent enveloppés d’une lumière divine ! Et l’ange leur annonce une nouvelle extraordinaire : un sauveur est né, c’est le Christ, c’est-à-dire le messie, l’envoyé de Dieu habité par l’Esprit de Dieu, pour étendre le règne de Dieu. L’annonce est solennelle ! Elle fait écho à la prophétie d’Isaïe que nous avons entendue dans la première lecture : « Un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! Et le pouvoir s’étendra, et la paix sera sans fin ».

Mais après… L’ange dit : « voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » Et les anges chantent : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux… ». Un bébé couché dans une mangeoire… Vous parlez d’un signe de la gloire, du pouvoir de Dieu ! Le seul pouvoir d’un bébé est celui de réveiller ses parents au milieu de la nuit, ou de les faire craquer par ses premiers sourires… Le signe donné est plutôt un signe de normalité – un bébé emmailloté et couché – et même de vulnérabilité – il est couché dans une mangeoire, au milieu des animaux… L’ange annonce un évènement extraordinaire, la naissance du Fils de Dieu, en donnant un signe ordinaire, normal… Et cela ne va pas empêcher les bergers d’aller voir, de raconter ce qu’ils ont vu, de se réjouir, de louer Dieu. Et la nouvelle est arrivée jusqu’à nous, ce soir. Les bergers ont vu une réalité ordinaire, ils ont cru en une réalité extraordinaire. Ils n’ont pas vu grand-chose, mais ils ont cru en Dieu qui visite les hommes. C’est sans doute ce qu’on appelle la foi… Accueil au milieu de nous de Dieu, qui vient révéler son pouvoir qui est celui de l’amour, sa puissance qui est celle du désir fou de voir les hommes unis à lui, son autorité qui est celle du pardon donné sans se lasser. Aux hommes de l’accueillir tel qu’il est et de se laisser transformer par sa venue, pour lui ressembler. Vaste défi, chemin de conversion sur lequel les hommes auront toujours à progresser, dans le monde, dans l’Eglise, chacun de nous…

Ce qui s’est passé à Bethléem, tel que l’Evangile nous le raconte, peut nous aider à comprendre comment Dieu est présent dans nos vies à chacun de nous. Car, si Dieu est bien l’éternel, le tout autre, notre créateur, celui qui est à l’origine de tout ce qui est… les signes qu’il nous donne de sa présence sont, le plus souvent, désespérément ordinaires… Rares sont ceux d’entre nous qui ont eu une apparition, qui ont entendu Dieu leur parler au milieu de phénomènes éblouissants… Et pourtant, Dieu est présent dans notre vie à tous, son amour nous façonne, nous accompagne, chacun de nous. Et il nous en donne des signes. A commencer par le signe que représente chaque nouveau-né, qui est aujourd’hui, par chez nous, plus souvent couché dans un berceau ou un maxi cosi que dans une mangeoire… mais qui est et qui sera toujours le signe de la vie qui vient de Dieu, la vie qui nous dépasse, la vie qui est plus grande que nous, que l’on reçoit, que l’on transmet, dont on a la mission de prendre soin, qu’on fait grandir… La naissance d’un enfant nous ouvre souvent aux grandes questions de la vie… Parce que le signe de la vie est signe de Dieu.

Chers amis, cette nuit nous fêtons l’extraordinaire qui s’invite et se révèle dans l’ordinaire. Nous célébrons la naissance de celui qui vient nous ouvrir le chemin du salut. Nous accueillons Dieu dans notre humanité. Dieu qui est présent dès que la vie est donnée, partagée, accueillie, aimée en l’un de ses enfants… Dieu qui est rejeté dès que la vie est bafouée, abîmée, humiliée en l’un de ses enfants… Fêtons Noël dans la joie, la joie simple de savoir que Dieu est présent dans notre quotidien, et soyons, comme les bergers de Bethléem, les témoins pour le monde de ce Dieu qui se donne.

Père Pierre-Marie Hascal

Messe du 24 décembre 2021, 22h30 à Notre-Dame de Chatou.

Les lectures étaient : Isaïe 9, 1-6 – Psaume 95 – Tite 2, 11-14  – Luc 2, 1-20.

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