« Il y eut un soir, il y eut un matin… » Il est beau, ce récit de la création, que nous avons entendu en première lecture. Il est beau, même s’il laisse parfois perplexe, lorsqu’on le compare aux connaissances scientifiques actuelles. On se pose parfois la question : comment croire que ce récit est vrai alors qu’il est démenti par la science ? Qui a raison ? Bien sûr, pour croire en Dieu on n’est pas obligé de renoncer à la science et à l’intelligence et de prendre ce récit au pied de la lettre. Et bien sûr, la question se trouve vite dépassée si on ne prend pas ce récit pour ce qu’il n’est pas (un traité scientifique) mais pour ce qu’il est : la Parole de Dieu qui nous fait connaître Dieu et son projet pour le monde. La vérité de ce texte n’est pas de l’ordre de l’exactitude historique ou scientifique, elle est théologique : une parole sur Dieu, et de Dieu. Il nous révèle que Dieu est créateur, qu’il est à l’origine de tout ce qui existe, que ce qu’il crée est bon, en particulier l’homme, créé à l’image de Dieu.

Le récit commence ainsi : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide ». Ce texte a été écrit en hébreu. Connaissez-vous le mot hébreu traduit en français par « informe et vide » ? Oui, vous le connaissez… (vous parlez hébreu !) : c’est tohu-bohu. La terre était tohu-bohu. C’est-à-dire que le premier état de la matière créée est d’être confuse, inorganisée, et donc inhabitable, invivable. Mais Dieu ne s’en est pas tenu là. Il a organisé. Il a séparé. Nous l’avons entendu : « Dieu sépara la lumière des ténèbres » … « il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus » … Et Dieu sépare les eaux et la terre, il crée les plantes qui donnent des fruits selon leur espèce, il sépare le luminaire du jour et le luminaire de la nuit, il crée les animaux chacun selon son espèce, il crée l’être humain, distinct des animaux, et distinct entre homme et femme… Dieu organise en même temps qu’il crée ! Chaque créature est distincte des autres, complémentaire avec les autres. Et ainsi, la création peut vivre harmonieusement, loin de la confusion, du tohu-bohu invivable.

Il ne faudrait pas mal comprendre le mot séparation. Il ne s’agit pas d’une division, Dieu ne sépare pas pour créer une opposition. Il s’agit d’une distinction : Dieu distingue pour permettre la relation, la fécondité. Dans la confusion, il n’y a pas de relation possible. Si je suis fusionné, fondu dans le tout, je ne peux pas entrer en relation, aimer, me donner, être uni. Et porter du fruit, selon mon espèce. Sortir de la fusion suppose des arrachements, comme un petit enfant qui s’arrache aux bras de sa maman pour entrer dans la vie. Mais cet arrachement est nécessaire. La distinction est la condition nécessaire à la vie !

Peut-être l’avez-vous remarqué, dans l’Evangile de la résurrection que nous venons d’entendre, on entend des échos de ce récit de la création : nous sommes le premier jour de la semaine, le premier jour de la création. Les femmes se rendent au tombeau au moment où le jour se lève, où le soleil s’extrait de la nuit, s’arrache aux ténèbres pour voir naître un jour nouveau. Il y eut un soir, il y eut un matin… Et ce jour est vraiment nouveau, parce qu’à leur arrivée, les femmes trouvent le tombeau ouvert et vide : Jésus a été arraché à la mort, il n’a pas été englouti, fondu, assimilé par la mort. Et le jeune homme vêtu de blanc appelle les femmes à s’arracher à la peur et à sortir de ce tombeau où elles n’ont rien à faire pour devenir les premières missionnaires de la résurrection du Christ, du triomphe de la vie.

Oui, il y a un lien fort entre la création du monde et la résurrection du Christ. Lorsque Jésus ressuscite, le premier jour de la semaine, la création tout entière est renouvelée. Le mal qui blesse la création, et qui a cloué Jésus sur la croix, est vaincu, définitivement. Lorsque Jésus est arraché aux ténèbres de la mort, c’est l’humanité tout entière, c’est vous, c’est moi, qui sommes arrachés aux ténèbres, séparés du mal, sauvés, unis à Dieu dans une vraie relation d’amour qui passe par Jésus. La Pâques du Christ, c’est notre re-création.

Ce soir, chers catéchumènes, chers Laura, Véronique, Guillaume, Thierry, Frédy, Michaël, Alix, Anaëlle, Pryia, Gabriel, Tristan, Martin et Pierre, par le baptême vous entrez dans ce jour nouveau, cette création renouvelée. Dans la vie nouvelle des enfants de Dieu, arrachés aux ténèbres par le Christ, mort et ressuscité pour nous. Et vous devenez membres d’un même corps, de la communauté de l’Eglise, corps du Christ, famille de Dieu.

Dans ce corps, dans l’Eglise, nous sommes tous unis par notre lien avec le Christ, rassemblés par l’Esprit Saint, enfants d’un même Père que nous prions ensemble. Et nous sommes aussi tous différents. Unis par la foi et l’amour fraternel, et distincts les uns des autres. Chacun selon son espère… Et, selon le projet créateur de Dieu, nous ne sommes pas créés différents pour nous opposer, nous diviser, mais pour pouvoir être féconds, ensemble, rassemblés. Si nous sommes chrétiens, nous partageons tous la même mission, qui est celle du Christ. Comme l’écrivait le cardinal Journet : « l’Eglise, c’est l’Evangile qui continue ». L’Eglise – nous tous – continue la mission du Christ. C’est la bonne nouvelle du salut qui continue à être annoncé à tous. C’est l’amour de Dieu pour le monde qui continue à être servi. Baptisés, nous sommes tous ensemble au service de l’amour de Dieu pour le monde, au service du projet de salut du monde. Et nous le sommes, chacun selon son espèce… chacun selon ses charismes, c’est-à-dire les dons que Dieu nous a faits pour le bien des autres, pour la communauté. Et nous avons tous des charismes ! Que ce soit le don de la joie en toute circonstance, de la visite des malades, de la prière qui ne se décourage pas, d’être artisan de paix là où l’on vit, en famille ou au travail, que ce soit par l’attention bienveillante à ses voisins, le partage de savoir-faire manuels ou de compétences musicales, le goût du service utile et discret, le témoignage de foi… C’est ensemble, tous ensemble, avec notre diversité qui fait de nous un corps vivant et fécond, chacun selon son espèce, que nous sommes appelés à vivre la mission, à porter du fruit, à annoncer au monde les merveilles de Dieu, à être des témoins de la résurrection, de la vie éternelle. Rendons grâce au Christ ressuscité qui nous associe à sa mission, chacun selon le don de Dieu.

 

Père Pierre-Marie Hascal

 

Les lectures étaient : Gn 1, 1-31 ; 2, 1-2 – Gn 22, 1-18 – Ex 14, 15-30 ; 15, 1a – Is 54,5-14 – Ba 3, 9-15.32-4,4 – Rm 6, 3b-11 – Mc 16, 1-7

Pour télécharger le texte en pdf, cliquez ici.