Homélie de la Messe de la Nuit de Noël

Quel pouvoir ! C’est impressionnant. L’empereur, à Rome, ordonne de recenser toute la terre (rien que ça !), et à des milliers de kilomètres de là, à l’autre bout de l’empire, dans un village perdu au fin fond de la Galilée… un homme part à pied avec sa femme, qui est très enceinte, pour se faire recenser à Bethléem. Quelle puissance, cet empereur… Il décide, l’ordre tombe, et des millions de gens s’exécutent sans se poser de question. C’est ainsi que commence notre passage d’Evangile, et je n’y avais jamais vraiment prêté attention jusqu’à cette année : la grande puissance d’un homme, le pouvoir exercé du dessus par l’empereur qui ordonne, et les hommes obéissent.

Et rapidement dans ce texte, on passe du très grand au très petit. Du grand pouvoir d’un puissant, de l’homme le plus puissant du monde, à la naissance d’un enfant, un bébé déposé dans une mangeoire, quelque part dans la campagne. Symbole de fragilité, de petitesse, qui contraste avec la grandeur du puissant empereur. Et rapidement, on s’aperçoit que la grandeur n’est pas où l’on croit, grâce aux anges qui disent aux bergers que cet enfant, c’est le Seigneur, et qui chantent la gloire de Dieu, c’est-à-dire sa grandeur, sa puissance.

Du très grand au très petit… du très puissant au très fragile… et c’est le petit qui est grand, c’est le fragile qui est puissant. Le vrai pouvoir n’est pas celui qui descend du trône de l’empereur. C’est celui de l’amour qui s’abaisse, qui nous rejoint dans notre faiblesse, pour nous élever jusqu’à lui. La puissance de Dieu s’exerce sur nous non pas du dessus, mais du dessous, de l’intérieur, du plus profond. De la crèche au crucifiement, Dieu vient semer dans le monde les germes du salut, et ces germes lèveront.

Voici la source de la joie chrétienne. La Vierge Marie a chanté : « Dieu s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse. » Dieu qui est si grand est venu jusqu’à moi qui suis si petite : voici mon bonheur sans fin ! Source de la joie, source de l’espérance. Avec elle nous pouvons dire : Dieu s’est penché sur moi, sur nous qui sommes si fragiles. Il n’a pas eu peur d’entrer dans le monde, de nous rejoindre, de partager notre existence. C’est là ma joie. C’est là mon espérance.

Et l’espérance, nous en avons bien besoin… Notre monde est agité, secoué par les guerres. Notre société semble déboussolée, à fleur de peau. Beaucoup d’hommes ont oublié Dieu, et ils semblent même oublier ce qu’est un être humain. L’individualisme s’est répandu dans la pensée et les modes de vie. L’homme détruit l’environnement dans lequel il vit… Tout cela provoque beaucoup d’inquiétude, des angoisses se manifestent. Je rencontre beaucoup de gens fragilisés par ce climat morose, anxiogène.

C’est dans ce climat que nous fêtons Noël. Non pas comme une parenthèse féérique, une pause enchantée au milieu du triste quotidien. Mais comme une occasion de se remettre les idées en place, de nourrir notre espérance en venant à la source.

Lorsque nous fêtons Noël, nous nous souvenons que « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique », comme on le lit dans l’Evangile selon saint Jean. « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jean 3, 16). Ce monde tel que nous le voyons, ce monde qui nous désespère parfois, Dieu l’a tellement aimé qui a voulu s’y rendre présent. Dieu l’aime tellement qu’il veut le sauver et que, pour cela, il se donne. Saint Jean continue : « Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jean 3, 17).

Voilà l’espérance chrétienne : Dieu est là. Dieu est présent dans ce monde fragile. Dieu est venu en Jésus Christ pour habiter sa création et la renouveler de l’intérieur. Il a épousé l’humanité pour la transformer, la restaurer à son image. Et si Dieu est venu, il n’est pas reparti. Il est là, il aime, il sauve. L’espérance, ce n’est pas l’optimisme : « tout ira mieux demain ». L’espérance, c’est la confiance en Dieu qui est là, qui porte avec nous la violence du monde et qui nous ouvre un chemin. L’espérance ne dispense pas de l’épreuve, elle la fait vivre autrement. Nous avons aujourd’hui des témoins de l’espérance avec les chrétiens persécutés. Benoît de Blanpré, directeur de l’Aide à l’Eglise en Détresse et paroissien de Chatou, s’en ai fait l’écho récemment lorsqu’il nous a donné son témoignage, en nous rapportant les propos, entre autres, d’un évêque du Nigéria, pays où les chrétiens sont aujourd’hui durement persécutés, tués à cause de leur foi : « D’abord dites-leur que notre première qualité c’est la joie ! Et ensuite n’oubliez pas de leur dire que notre espérance est bien plus grande que nos problèmes ! ». Notre espérance est bien plus grande que nos problèmes, car Dieu est bien plus grand que tout problème, et nous avons confiance en lui. Quelle belle leçon ! Ceux qui vivent leur foi au risque de leur vie nous montrent ce chemin.

Ce qui nous rend l’espérance parfois difficile, c’est que les signes de la présence de Dieu dans le monde sont petits, discrets. Lorsque des hommes s’entretuent, ça fait la une des médias. Lorsque des hommes prennent soin les uns des autres, ça passe inaperçu. Pourtant, je vous assure que je rencontre beaucoup plus de personnes serviables et généreuses que de tueurs. Et vous pouvez faire la même expérience, en regardant bien. Comme le disait saint François de Salles : « Le bien ne fait pas de bruit. » Mais il est bien réel, sa présence est permanente, massive et réjouissante si on veut bien le voir, l’entendre et il ne faut pas se laisser étourdir par les mauvaises nouvelles qui font du bruit.

Chers amis, « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique ». Dieu croit que ce monde est sauvable, il l’aime, il le rejoint, il l’épouse. Il se fait chair pour nous. Mettons en lui notre espérance, ne repoussons pas la joie !

Père Pierre-Marie Hascal

 

Messe du 24 décembre 2022, 22h à Notre-Dame de Chatou.

Les lectures étaient : Isaïe 9, 1-6 – Psaume 95 – Tite 2, 11-14  – Luc 2, 1-20.

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